Des crevettes d'Équateur crues dans une assiette sombre posée sur une planche à découper noire.

Des crevettes d’Équateur.

La crevette du pays des quatre monde est-elle la meilleure au monde ? Pour les Équatoriens, c’est très certainement l’un des meilleurs ambassadeurs de leur gastronomie à travers le monde. Pour le consommateur, c’est l’assurance d’un produit sain et savoureux, disponible toute l’année et issu d’un système d’élevage durable.

Il n’y a qu’à regarder sur les étals français pour le constater. La crevette d’Équateur est omniprésente. Véritable mastodonte de l’exportation, sa production est cependant devancée par les pays que sont la Chine, la Thaïlande, le Viêt Nam, l’Indonésie et l’Inde, pour l’Asie, et le Brésil pour l’Amérique. Ce qui n’empêche pas la crevette d’Équateur, réputée pour sa qualité grâce à des conditions idéales et à des méthodes d’élevage innovantes, de rivaliser sur les marchés internationaux et de se montrer compétitive sur l’Europe et l’Asie puisqu’elle représenterait 25 % de l’offre mondiale. La Chine, par exemple, est un important producteur de crevettes, mais elle en importe également en grande quantité pour répondre aux besoins de sa population. Ce pays représente le principal marché d’exportation de la crevette d’Équateur. En 2019, la Chine représentait 50 % des exportations et l’Europe 25 % alors que 8 ans auparavant, les taux étaient inversés.

Des bassins d'aquaculture de la crevette équatorienne à perte de vue dans l'estuaire de Guayaquil. Chaque bassin correspond à une étape du processus du traitement des larves à l'élevage.

Des bassins d’aquaculture de la crevette équatorienne à perte de vue dans l’estuaire de Guayaquil. Chaque bassin correspond à une étape du processus du traitement des larves à l’élevage.

CREVETTE D’ÉQUATEUR : LES HUMBLES ORIGINES D’UNE INDUSTRIE MONDIALE

Derrière ses couleurs vibrantes, sa texture inégalée et sa saveur exquise se cachent un savoir faire et une culture qui ont pris véritablement leur envol dans les années 1960. Auparavant, la pêche aux crevettes se faisait de manière artisanale dans les zones côtières et les estuaires. L’idée d’élever des crevettes dans des bassins artificiels était encore peu développée. Les débuts de l’industrie de la crevette d’Équateur furent modestes mais prometteurs.
Durant les années 1960, la demande mondiale pour les produits de la mer, en particulier la crevette, a commencé à croître de manière significative, notamment en Amérique du Nord, en Europe et en Asie. Ce contexte international favorable a incité plusieurs pays tropicaux à chercher des moyens d’intensifier la production de crevettes, initialement élevée dans l’unique but de nourrir les populations. En Équateur, et particulièrement à Guayaquil, cette période a marqué les débuts d’une transition importante vers l’aquaculture, et plus précisément la crevetticulture, qui allait transformer radicalement l’économie locale.
En 1968, non loin de Santa Rosa dans la province d’El Oro, un événement fortuit a favorisé le démarrage de l’aquaculture de la crevette d’Équateur. Après une tempête, des marais salants ont été inondés par l’eau salée, entraînant un grand nombre de crevettes dans ces réservoirs naturels. Les agriculteurs locaux, en observant que les crevettes y prospéraient, ont réalisé le potentiel économique de cette activité. Ils ont d’abord menés des essais d’élevage dans des étangs creusés dans les zones marécageuses et irrigués par des canaux à partir de l’océan. L’événement de 1968 a donné naissance à l’élevage des crevettes, en Équateur, principalement à partir des espèces naturelles qui étaient capturées puis élevées dans ces bassins côtiers. La crevette principale cultivée à l’époque était la Penaeus vannamei (crevette à pattes blanches). Jusqu’en 1974, environ 600 hectares étaient consacrés à la culture de crevette d’Équateur, mais aujourd’hui, ce sont 220 000 hectares qui lui sont dédiés.

Des bassins d'aquaculture de la crevette équatorienne à perte de vue dans l'estuaire de Guayaquil. Chaque bassin correspond à une étape du processus du traitement des larves à l'élevage.

Des bassins d’aquaculture de la crevette équatorienne à perte de vue dans l’estuaire de Guayaquil. Chaque bassin correspond à une étape du processus du traitement des larves à l’élevage.

DÉVELOPPEMENT DE L’INDUSTRIE DE LA CREVETTE D’ÉQUATEUR

Les premiers fermiers de crevettes utilisaient des techniques très simples, comme ces marais salants peu profonds. Les résultats ont été si encourageants qu’une expansion rapide a suivi avec la construction d’étangs d’élevage. Les méthodes plus industrielles de crevetticulture ont démarré vers 1976. Des entrepreneurs équatoriens ont commencé à investir massivement dans cette nouvelle industrie. Guayaquil est devenue par la suite le centre névralgique de l’industrie de la crevette d’Équateur, avec des milliers d’hectares de terres côtières, 2 859 km le long du littoral, converties en bassins de culture. La proximité de Guayaquil avec les zones côtières, ainsi que sa position stratégique en tant que grand port, a facilité l’exportation vers les marchés internationaux.
Malgré quelques obstacles comme le manque de connaissances scientifiques, un taux de mortalité élevé chez le crustacés et des fluctuations de rendement, la crevetticulture est rapidement devenue l’une des principales activités économiques de l’Équateur. Les exportations de crevettes ont généré des devises étrangères qui ont permis à l’économie locale de prospérer. Cette nouvelle industrie a créé des milliers d’emplois, non seulement dans les fermes de crevettes, mais aussi dans des secteurs connexes comme le transport, la transformation des produits de la mer et la logistique portuaire. « La crevette est le produit d’exportation non pétrolier le plus important de l’Équateur aujourd’hui. Il fournit également de l’emploi à près de 300 000 familles dans tout le pays » a expliqué José Antonio Camposano, Président Exécutif de la Chambre Nationale Equatorienne de l’Aquaculture (CNA), lors d’une soirée dédiée à ce produit, le 26 septembre dernier.

Un fermier sur une barque ensemence un étang d'élevage.

Un fermier ensemence un étang d’élevage. Copyright DR.

LES EFFORTS DE L’ÉQUATEUR POUR CONCILIER ÉCONOMIE ET ÉCOLOGIE

L’essor de cette culture a bien évidemment transformé le paysage de la côte équatorienne, avec des mangroves et de la forêt de palétuviers remplacées par des étangs d’élevage entrainant la destruction des écosystèmes côtiers et la réduction de la biodiversité. Cependant, l’Équateur a fait de gros efforts ces dernières années pour proposer des crevettes haut de gamme qui répondent aux normes sociales et environnementales. Les entreprises membres de la Sustainable Shrimp Partenership (SSP) s’engagent à « produire sans utiliser d’antibiotiques, à générer un impact neutre sur l’environnement et à assurer une traçabilité complète du produit ». Le gouvernement équatorien a initié plusieurs programmes de conservation comme Socio Manglar, un programme qui encourage les communautés locales et les propriétaires fonciers à protéger les mangroves, ou des actions de reforestation et restauration des mangroves par des ONG locales et internationales. De même, l’Équateur a adopté des pratiques de crevetticulture plus durables, notamment en intégrant des systèmes où des portions de mangroves sont conservées dans les exploitations, permettant à la fois de produire des crevettes et de préserver les services écosystémiques des mangroves, comme la filtration de l’eau, la protection des côtes, la préservation de la biodiversité, le stockage de carbone…

Le chef étoilé et MOF Frédéric Simonin en train de préparer un ceviche de crevettes d'Équateur crues marinées accompagnées de tapioca à l’encre de seiche, de caviar citron, de pitaya, de galanga et de crème de chou-fleur. Il est en train de verser une sauce sur le ceviche.

Le chef étoilé et MOF Frédéric Simonin en train de préparer un ceviche de crevettes d’Équateur crues marinées accompagnées de tapioca à l’encre de seiche, de caviar citron, de pitaya, de galanga et de crème de chou-fleur.

LA CREVETTE, PRODUIT PHARE DE L’INDUSTRIE AGROALIMENTAIRE ÉQUATORIENNE

Si l’Équateur exporte de nombreux produits comme le cacao, les bananes, le café, la canne à sucre ou le thon, la crevette reste son fleuron. De haute qualité, elle répond aux normes nationales et internationales les plus exigeantes notamment les réglementations des États-Unis et de l’Union Européenne comme la Food and Drug Administration (FDA). Avant d’arriver sur nos tables, la crevette subit un processus d’élaboration relativement « simple ». Tout commence en laboratoire de maturation, où ont lieu les étapes de reproduction, le frai et d’éclosion des œufs. Les larves de crevette d’Équateur sont ensuite mises à grandir dans des bassins, dont l’eau très pure est renouvelée pour assurer une bonne concentration en oxygène, durant 4 mois pour atteindre un poids (au moins 15 grammes) et leur taille commerciale. La récolte, entre 90 et 110 jours après l’ensemencement, s’effectue ensuite délicatement en abaissant le niveau d’eau des étangs et par extraction. Les crevettes sont disposées dans des conteneurs à 4°C pour le transport jusqu’à l’usine de traitement. Lavées, désinfectées pour éliminer les micros-organismes, elles sont ensuite sélectionnées à la main et classifiées par taille et par qualité. Le contrôle qualité analyse d’abord leur couleur, leur odeur et leur texture puis leur propreté grâce à des tests chimiques. Suivront les étapes de cuisson à la vapeur ou par immersion en fonction des demandes de clients et l’emballage dans des boites et conteneurs congelées pour le transport et le stockage avant distribution.

Dans une petite assiette aux couleurs sombres posée sur des contenants blancs est présenté le ceviche de crevettes d'Équateur crues marinées accompagnées de tapioca à l’encre de seiche, de caviar citron, de pitaya, de galanga et de crème de chou-fleur.

Ceviche de crevettes d’Équateur crues marinées accompagnées de tapioca à l’encre de seiche, de caviar citron, de pitaya, de galanga et de crème de chou-fleur.

LA CREVETTE D’ÉQUATEUR, UN PRODUIT PLÉBISCITÉ PAR LES CHEFS

Les crevettes d’Équateur sont emblématiques de la cuisine du pays. Les chefs équatoriens ont acquis une expertise dans l’utilisation de ce produit. Certains, de l’École des chefs, tels que Igor Burlutskiy, Daniela Valverde, Santiago Granda, Cristian Moreno, Alejandro Andrade ou Manuel Romero se sont réunis pour proposer dans un livre les meilleures techniques culinaires mettant en valeur les caractéristiques de la crevette équatorienne et des recettes autour de ce produit. Lors de la soirée du mois de septembre, le chef étoilé et Meilleur Ouvrier de France 2019 (MOF) Frédéric Simonin a été convié par la nouvelle ambassadrice d’Equateur à Paris, Ivonne Baki, pour animer une master class avec ce produit d’exception « La crevette d’Équateur est une matière dont la chair est ferme, assez délicate et noble » a-t-il expliqué. Pour nous montrer la diversité des modes de préparation, il avait imaginé plusieurs recettes dont un ceviche de crevettes crues marinées accompagnées de tapioca à l’encre de seiche, de caviar citron, de pitaya, de galanga et de chou-fleur. Une recette complexe qui a su enchanter les papilles, créer une émotion parmi les convives et révéler le potentiel extraordinaire de ce produit hors norme, tout en préservant son authenticité et sa texture ferme. Autres recettes qui ont conquis le palais des invités et permis de découvrir l’utilisation des divers morceaux du crustacés : les crevettes en bouillon parfumé au roucou et ses légumes grillés, et des crevettes juste voilée servies avec une sauce à l’extrait de tomates, huile carapace, un coulis d’avocat légèrement épicé et le suc des têtes. Pour les garder tendre et savoureuse, le chef a conseillé de ne pas trop les cuire « Il faut les cuire juste comme il faut, sans sur-cuisson pour avoir la texture et les saveurs adaptées. Trop cuite, elles deviennent caoutchouteuses mais c’est exactement pareil pour les langoustines et les homards ». Fidèle à sa philosophie d’une cuisine raisonnable et raisonnée, d’assaisonnements travaillés avec grande précision, et de simplicité avec sophistication, le chef avait utilisé dans ses recettes proposées la totalité de la crevette. Les carcasses étaient par exemple travaillées en huile et l’intérieur des têtes en suc très onctueux ou en bouillon aromatique.