La BD à Angoulême sonnait comme une évidence. Surtout si l’on se penche sur le passé industriel de la ville et l’histoire du papier dans l’Angoumois. Le papier… Ce support sans lequel le talent des bédéistes ne pourrait pas s’exprimer et se faire connaître du grand public. Et si Angoulême est aujourd’hui plus connue pour ses bulles (d’humour) et ses écoles d’art, remonter son passé industriel permet de comprendre cette évidence contemporaine….
UNE INDUSTRIE RÉGIONALE QUI REMONTE AU 14E SIÈCLE
L’industrie du papier en Angoumois puis en Charente est l’une des plus anciennes de France. Les premières traces de moulin à papier dans cette région remontent à 1516. Le moulin de Negremus sur la Lizonne, affluent de la Dronne, serait le premier moulin attesté pour cet artisanat. Dès lors, de nombreux moulins à blé ou à foulon transforment leur activité pour devenir moulins à papier. La zone est propice à la fabrication du papier. Innervée de nombreux petits cours d’eau fournissant ainsi une eau pure et limpide et des facilités pour acheminer les marchandises auprès des marchands bordelais, puis hollandais et anglais, elle produit également du chanvre, fibre textile tirée de la plante éponyme. Le spectaculaire développement de cette industrie papetière provient donc aussi de l’abondance et de la qualité de sa matière première, les peilles. Plus ces chiffons de chanvre ou de lin sont fins et meilleure est la qualité du papier produit. Entreposés dans une pièce sombre et humide, le pourrissoir, ces chiffons fermentaient durant quelques semaines avant d’être broyées.
Le textile a été utilisé jusqu’en 1850 puis remplacé par le bois et les fibres de récupération (papiers, cartons). L’industrie du papier dans le bassin de l’Angoumois et la Charente a été une activité majeure jusqu’aux années 1970, date à laquelle un déclin s’est amorcé. Aujourd’hui il ne reste plus que quelques papeteries et usines de transformation. Toute cette industrie – ainsi que les industries connexes telles que la mécanique, la fonderie, le tissage – se découvre en détail au musée du papier.
JACQUES BREJOUX, LE DERNIER DES MOHICANS
À Puymoyen, Jacques Brejoux, Maître papetier depuis plus de 40 ans, est l’un des derniers des mohicans. Le dernier moulin de la région à fonctionner encore aujourd’hui… Le moulin du verger tourne depuis plus de 450 ans. Pas d’odeur de colle, de kaolin, de talc, colorants ou autres adjuvants. Pas de copeaux de bois volant dans les airs. Pas de chimie pour séparer la cellulose de la lignine ou blanchir la pâte comme dans la fabrication industrielle. Ici à l’atelier, la fabrication du papier se fait encore à l’ancienne selon une technique datant du XIIIe siècle. Les tissus sont tout d’abord déchirés en lanières (étape du délissage). Seuls, les ourlets et coutures sont mis de côté. La presse à pédale broie cette matière première nécessaire toujours avec le même rythme. Battant la mesure dans un bruit quasi infernal. Tapant inlassablement les tissus qui serviront de base pour des papiers précieux à usage graphique exclusivement. C’est l’étape du raffinage. Pour obtenir ce papier d’excellence, le temps est le meilleur allié de Jacques et son équipe. « Le savoir-faire, c’est le temps » se plait-il à répéter.
La roue du moulin entraîne un arbre à cane, permettant ainsi à la pile à maillet de fonctionner et de broyer le tissu dans un bain d’eau. Si Jacques Brejoux décide de fabriquer du papier de couleur, c’est alors à ce moment là qu’il va introduire une solution colorée de pigment (par exemple indigo à l’hyposulfite pour le bleu). Vingt-quatre heures plus tard, la pâte à papier obtenue va être filtrée et tamisée. Les feuilles qui se forment en quelques secondes (étape du levage), une par une grâce à la dextérité du papetier, vont être débarrassées d’éléments « parasites ». Et à la pince à épiler, ni plus ni moins ! Un véritable travail d’orfèvre. Les feuilles sont posées les unes sur les autres (étape du couchage) séparées par des intercalaires en laine ou en synthétique. La presse va permettre d’éliminer toute l’eau contenue par les feuilles et va favoriser les liaisons entre les fibres, donnant ainsi toute sa cohésion au papier. L’étape du découchage consiste à décoller la feuille de son intercalaire. Étape délicate s’il en est qui dépend de la quantité d’eau restant dans la feuille. À la manière du linge de maison – finalement le tissu, leur état originel – les feuilles sont ensuite suspendues à un fil pour sécher. Elles vont pouvoir être laminées (étape pour adoucir le grain ou aplanir la feuille) puis transformées en livres d’art et objet précieux, ou serviront à restaurer des livres anciens abîmés par le temps.
LE LOGIS DE FORGE, UN LIEU EXCEPTIONNEL OÙ L’EAU DOMINE
Si le Logis de Forge à Mouthiers-sur-Boëme ne fabrique plus de papier, la visite des bâtiments (le logis date du 15e siècle et le moulin à papier du 18e siècle) et de ses jardins semble un incontournable pour les amoureux de cette industrie. Le lieu est exceptionnel et son histoire très riche. Les jardins ont d’ailleurs été classés Jardins Remarquables, un label qui a été créé en 2004 par le ministère de la Culture français avec le concours du Conseil national des parcs et jardins, qui assure au visiteur un niveau de beauté extraordinaire. Au cœur d’une colline boisée, le domaine entoure un étang formé par une résurgence qui débite entre 500 litres et 10000 litres par seconde selon les saisons. La Boëme, affluent de la Charente, serpente au milieu des espaces verts, invitant à la rêverie et la contemplation de chaque visiteur.
L’eau, la pierre, le végétal entretiennent une conversation bucolique. L’eau… l‘élément central de ce lieu. Son fil rouge. Si pure, si cristalline, qu’elle fut la raison pour laquelle des moines bénédictins décidèrent de fonder au 11e siècle un monastère à proximité. Cette eau leur permit d’irriguer des terres agricoles, de créer un vivier leur assurant une alimentation en poissons, d’installer une forge pour la fabrication d’outils agricoles. Plus tard, de nombreuses familles se sont succédées – transformant au passage la forge en moulin à blé et moulin à huile de noix – comme maîtresses des lieux jusqu’en 1781, date à laquelle Bernard Sazerac fit acquisition du fief de Forge, qui restera désormais dans la famille. L’année suivante, en 1782, Bernard, désormais Sazerac de Forge, démarre une production de papier. Le moulin à papier a fonctionné jusqu’en 1932, façonnant durant ces longues décennies du papier «grand aigle », «petit cornet », «à la romaine », «jésus » et « double lys», et même du carton à partir de 1880. La famille de Beaucé actuellement propriétaire est issue de Bertrand de Beaucé, cousin germain de Germaine Sazerac de forge, dernière héritière à porter ce nom.
INFORMATIONS PRATIQUES SUR ANGOULÊME
Où dormir ? Hôtel du Palais***, 4 place Francis Louvel, 16000 Angoulême. 05 45 92 54 11. Domaine du Chatelard, 1079 route du Chatelard, 16410 Dirac. 05 45 70 76 76.
Où manger ? Le Compostelle, 4 grande Rue, 16140 Tusson. 05 45 31 15 90. Cokotte, 6 rue des 3 Notre Dame, 16000 Angoulême. 05 45 95 15 19. Au Comptoir du Marché, 17 rue Saint Gervais, 17500 Jonzac. 05 46 48 35 95. Le River 102, 102 Rue de Bordeaux, 16000 Angoulême. 05 45 39 07 94.
À voir, à visiter Cognac Gautier, 28 rue des Ponts, 16140 Aifre. 05 45 21 58 67. Tonnellerie Allary, 9 route de Cognac, 17520 Archiac. 05 46 49 14 59. Atelier Barriques à Brac, Le Bourg, 17500 Saint-Germain-de-Vibrac. 05 46 04 53 46. Le Logis de Forge, 9 route de la Garenne, 16440 Mouthiers-sur-Boëme. 05 45 67 84 22, 06 34 77 81 70. Le moulin du Verger, Chemin du Moulin du Verger, 16400 Puymoyen. 05 45 65 37 33. Musée du Papier, 134 Rue de Bordeaux, 16000 Angoulême. 05 45 38 71 61.